TERRES JUMELLES – CHAPITRE I, PART.2: UN PONT D’ARGILE ENTRE SE (BENIN) ET BIZEN (JAPON)

Janvier 2016 - Juillet 2016
Village de Sè, Bénin - Bizen, Japon

Il y a trois ans, lorsque je découvrais la poterie japonaise de Bizen (Préfecture d’Okayama), un écho sourd retentissait en moi. Il laissait entendre qu’un lien spirituel existait entre les terres animistes du Japon, pays du Shintoïsme, et du Bénin, berceau du Vaudou et de mes ancêtres. Après trois années de réflexion à imaginer un pont entre ces deux pays, j’ai pensé qu’il était temps de donner corps au syncrétisme de leurs cultures respectives à travers une aventure de création. C’est là l’ambition de BB Project (Benin-Bizen Project).

 

Tout a commencé en janvier 2016, lors de ma résidence de création au Centre – Arts et Cultures de Cotonou, au Bénin. Logé sur place pendant un mois, je préparais un projet portant sur la création de céramiques “métissées”, mêlant influences japonaises et béninoises. Au terme de ce séjour, douze pièces ont été présentées au public lors de l’exposition Terre de Mémoire, qui s’est tenue au centre culturel de février à mars. Chacune des pièces avait été confectionnée avec l’argile locale du village de Sè (Sud-Ouest du Bénin) et cuitent à 950ºC dans un four Raku que j’ai construit dans l’atelier que j’occupais sur le site. Ce four m’a permis de cuire les pièces selon une technique de cuisson à choc thermique d’origine coréenne et importée au Japon au XVI ème siècle. Historiquement, les premières utilisations du Raku furent dédiées à la fabrication de bol pour la cérémonie du thé japonais (Chanoyu, en Japonais).

 

Le soir du vernissage de l’exposition Terre de Mémoire, Mme Adanglo, chef potière du village de Sè, et moi avons animé une conférence rythmée d’explications techniques sur l’art de la terre cuite. Dans un premier temps, la potière expérimentée de Sè a révélé les secrets de fabrication des pots traditionnels du Bénin, puis à mon tour j’ai réalisé une démonstration de cuisson Raku, à l’issue de laquelle j’ai cuit un vase, également façonné avec l’argile de Sè. Cette dernière création marquait l’aboutissement d’un mois de travail en résidence mais sonnait également le début d’une nouvelle aventure.

 

En effet, ce vase n’a pas rejoint la sélection des oeuvres de l’exposition car je lui avait réservé un autre sort, à 13 000km des contrées béninoises: au Japon. À Bizen plus exactement, là où la poterie japonaise à réveillé en moi le désir d’une reconnexion avec mes racines béninoises par la terre. Pour moi, rien n’était plus évident que de poursuivre cette aventure au pays du soleil-levant. C’est ainsi que m’est venue l’idée de faire subir à ce vase une nouvelle cuisson dans un four à bois japonais de type Anagama, à Bizen. En Japonais, Anagama signifie “four-tunnel”. Son architecture favorise la décoration naturelle des pièces par la flamme et la cendre de bois.

 

Cependant, mes fantasmes ont vite été rattrapés par les réalités techniques de l’art du feu. En effet, à Bizen mes amis potiers cuisent leurs pièces dans ce type de four pendant sept jours consécutifs pour atteindre une température maximale avoisinant les 1250ºC. Ce procédé leur permet d’obtenir des nuances de textures et de couleurs impressionnantes (mat, brillant, ocre, dépôts de cendre…) qui font la marque de fabrique du Bizen-yaki (nom Japonais de la poterie de Bizen). L’opération s’avérait donc périlleuse car l’argile de constitution du vase risquait de ne pas résister à une température d’une telle intensité. Mes premiers tests laissaient même penser que l’argile de Sè ne résisterait pas une température dépassant les 1100ºC…

 

Puis, par un désir d’approfondir cette démarche de création “hors des frontières”, j’ai décidé de collecter de l’argile de Sè afin de l’emmener au Japon et la mélanger à 50-50 avec l’argile locale de Bizen. Cette composition hybride a notamment donné naissance à une pièce symbolique en mémoire de cette aventure. Cette dernière a également été cuite dans le four Anagama.

 

De retour à Paris à la fin du mois de février avec le vase et l’argile de Sè dans mes valises, j’ai ainsi pris contact avec Toshiaki Shibuta, un grand ami et également potier de Bizen, pour lui proposer de m’accompagner sur ce projet. Il accepta avec enthousiasme et me proposa de commencer les travaux la troisième semaine du mois de juin. Nous avons ensuite réalisé un calendrier de création prenant en considération les temps de travail en atelier, le séchage des oeuvres crues, l’enfournement des pièces et le temps de cuisson. Les quatre mois de préparation qui précédaient le début des travaux à Bizen m’ont laissé le temps de faire des tests plus concluants avec l’argile de Sè, qui confirmait une résistance thermique de 1250ºC.

 

En juin dernier, je me suis donc rendu à Bizen pour réaliser avec Toshiaki les travaux issus de BB Project (Benin-Bizen Project). Nous avons réalisé la cuisson Anagama de 7 jours en compagnie de Satoshi Matono et de Kazuhiro Uchida, qui sont également deux amis potiers de Bizen.

 

Deux oeuvres principales sont nées de ce projet:

 

  • Un vase métissé fabriqué avec l’argile du village de Sè, puis cuit à deux reprises selon des techniques de cuisson japonaise: le Raku (950ºC) et la cuisson au feu de bois dans un “four-tunnel” Anagama (env. 1250ºC). Lors de l’ultime cuisson, l’emplacement du vase dans le four à bois, à la fois proche des entrées de bois du four et en zone de haute température, a favorisé l’obtention de nuances disparates sur la pièce. Elle s’est embellie de textures brutes, brillantes, métalliques et mates. Elle présente ainsi quelques marques caractéristiques de la création céramique locale de Bizen, tout en conservant le caractère distinctif de l’argile rougeâtre de Sè. Les dépôts de cendre ont également fusionné avec l’émail Raku vert appliqué sur la pièce lors de sa création au Bénin.

 

  • Une plaque symbolique faite des argiles béninoises et japonaises sur laquelle Toshiaki et moi avons laissé une empreinte de nos mains afin d’immortaliser l’aventure. Le mélange homogène des argiles et la cuisson ont donné un résultat final très proche du rendu des créations céramiques non-émaillées de Bizen. La pièce arbore des couleurs ocres, brunes et jaunâtres. Comme le vase, elle est décorée de la cendre des différents bois utilisés pour la cuisson (pin rouge, camphrier, cèdre et chêne). Les empreintes laissées sur l’oeuvre par Toshiaki et moi ressortent parfaitement, bien que la pièce ait naturellement rétrécit après la cuisson. Au verso, elle présente des marques de pailles de riz sur lesquelles elle fut déposée lors de l’enfournement. Cette technique de décoration typique de Bizen s’appelle Hidasuki et signifie “marqué par le feu”, en Japonais.

 

En plus des photos qui accompagnent ce récit, un court documentaire retraçant les 7 jours de cuisson à Bizen sera très prochainement visible. Sa bande-annonce est dores et déjà en ligne.

 

A mes yeux, BB Project (Benin-Bizen Project) représente bien plus qu’une simple aventure de création. C’est une démarche qui, entre autres, ouvre de nouvelles perspectives sur le dialogue interculturel à travers l’argile. La terre est le lien de tout être vivant sur notre planète. Elle fait abstraction de notre couleur de peau, de notre classe sociale et de notre religion. Elle ne discrimine pas l’empreinte de celui ou celle qui la manipule et peut l’aider à façonner sa propre histoire. Preuve en est que des civilisations se sont vues attribuer leur nom d’après leurs techniques de poterie, et vice-versa. Le décor cordé (Jomon, en Japonais) des poteries japonaises préhistoriques, qui donne son nom à la période Jomon (15 000-300 AEC) en est un parfait exemple.

 

BB Project (Benin-Bizen Project) aura une suite. Il sera notamment question d’organiser une rencontre entre les potières béninoises du village de Sè et les potiers japonais de Bizen pour un moment d’échange unique. Au cours de mes différents voyages au Bénin et au Japon, j’ai eu l’occasion de m’entretenir avec les ambassadeurs des deux pays: Son Excellence M. Daini Tsukahara, au Bénin, et Son Excellence M. Ruffin Idossou Zomahoun, au Japon. Ces rencontres m’ont permis de les informer du projet et d’amorcer une suite bien plus ambitieuse. D’autres acteurs seront également sollicités d’ici là.

 

A bon entendeur 🙂

 

Descriptions des oeuvres:

Fiche technique

 

Vidéo:

Bande-annonce du documentaire BB Project (Benin-Bizen Project)

 

Journal Instagram:

#BBProject2016